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Thierry de Coster. Tranche de vivre

Dernière mise à jour : 28 mai 2020

Thierry de Coster, on le connaît tous, même sans le savoir ! Impossible d’être passé à côté de son personnage de Jeff dans les pub TV pour la Kriek Bellevue, ni de n’avoir jamais entendu sa voix dans un des 3.000 spots radios à son actif ! Excellent improvisateur, vous avez peut-être déjà ri grâce à lui et ses co-équipiers dans les Souffleurs aux Gradins ou plus récemment dans Motamo. Acteur télé et ciné, comédien sur les planches de théâtre, sa bouille ne peut que vous dire quelque chose ! Egalement producteur, réalisateur et auteur, Thierry de Coster est un artiste 100% pur belge pleinement et délibérément polyvalent ! Retour sur un artiste wavrien qui vaut assurément le détour.



Sortir d’une heure passée en compagnie de Thierry de Coster, c’est comme sortir d’une heure de cure d’optimisme, de sérénité, d’envie et de joie de vivre. L’homme dégage une force tranquille, on le sent bien dans ses bottes, ancré dans ses racines. Ouvert et généreux, il est plein de lucidité, d’expériences, de sensibilité, d’humanité.


Son parcours professionnel démarre en 1980 avec des études en réalisation à l’IAD, d’abord parce qu’il a très envie de voyager et de faire des reportages à l’étranger. Mes études m’ont permis de découvrir tout un univers qui finalement m’a fortement plu. Par chance, les années 80 c’était l’explosion de l’audiovisuel et donc j’ai eu la chance de commencer à bosser avant même d’avoir terminé. C’était génial, j’ai pu avoir les mains dans le cambouis immédiatement.


Deux années à bosser pour le JT de la RTBF, et ensuite Thierry part travailler comme documentariste en Afrique, une expérience inoubliable : L’aventure du Cameroun en 1986, où je suis parti plusieurs mois dans un nouveau continent, à la découverte d’une culture si différente, a été une révélation extraordinaire. Elle m’a accompagnée toute ma vie, dans le bon sens du terme. D’abord sur l’ouverture d’esprit internationale, interculturelle, ensuite sur ma propre curiosité du monde - j’ai toujours adoré voyagé et je continuerai à le faire ! - et sur la joie de vivre aussi, même si l’Afrique c’est très dur quand ça ne va pas, et qu’il y a des choses terribles qui s’y passent, il y a aussi dans l’adversité une joie de vivre qu’on perd beaucoup chez nous.



Entre 1986 et 1988, il réalise une quarantaine de pubs pour la télévision et le cinéma. Début des années 90, il intègre la société Saga Films dont il devient responsable de la production documentaire. Il produit notamment « Le Rêve de Gabriel » de Anne-Lévy Morelle qui restera plus de 17 mois à l’affiche, remportera le Prix de la Critique et se vendra dans plus de 26 pays. En 97, il crée sa propre société, Sokan, avec laquelle il produit en 6 ans une trentaine de documentaires et deux longs-métrages (Prison à domicile et Hop).


Parallèlement, il développe ses talents d’acteur et intègre progressivement le giron professionnel en accumulant les expériences tant à la scène qu’à l’écran. En 2003, afin de se consacrer entièrement à sa vie d’acteur et comédien, il met un terme à ses activités de production.


La comédie a toujours été en moi, mais en étant convaincu que c’était un secteur beaucoup trop difficile pour en vivre. J’ai toujours eu une main dessus, fait rire, vécu des situations publiques où je me suis amusé, mais sans jamais, et certainement pas dans ces années-là, avoir la projection d’en faire quelque chose de professionnel. Ca, c’est vraiment venu à la fin des années 90, une fois que j’ai fait de l’impro, qu’on m’a repéré et qu’il y a eu les pubs sur la Kriek Bellevue. Cette campagne a été tellement spectaculaire et tellement appréciée, qu’on est venu me chercher après pour d’autres choses.


L’improvisation, le fil rouge dans la vie d’artiste de Thierry de Coster. Au départ, une bande de potes qui font ça pour le plaisir, et qui gagnent dès leur première participation, le championnat amateur. Thierry intègre ensuite l’équipe nationale, championne du Monde en 1995 et 1996.


Selon moi, c’est une discipline qui est vraiment galvaudée, parce qu’avec l’expérience que j’en ai maintenant, je trouve que c’est la plus extraordinaire de l’art vivant. Au théâtre il y a bien sûr des choses extrêmement intéressantes à explorer quand il y a des grands auteurs ou un bon rôle à porter, mais à un certain moment, quand tu connais ton texte, tu deviens un très bon fonctionnaire du théâtre. En impro, c’est le risque permanent, tu es chaque fois remis en question. Cela a un effet thérapeutique extrêmement puissant, qui permet de libérer les émotions, de partager, de comprendre la communication en partant de rien. Cela permet d’entrer dans l’inconscient de manière prodigieuse, et de s’ouvrir totalement à la création.


Thierry quitte la ligue nationale, car le compétition lui enlève la saveur première de l’impro. Il crée en 1996 « Les Souffleurs aux Gradins », un spectacle d’improvisation, différent chaque soir, qui connaîtra plus de 800 représentations en 15 ans. Depuis 2015, il a mis sur pieds un nouveau spectacle interactif : « Motamo » (voir encadré).


En 1999, il est choisi pour interpréter le savoureux personnage de Jeff, dans les spots souvent hilarants pour la Kriek Bellevue … au plus que tu la goûtes, au mieux que ça te goûte ! Un tremplin évidemment, et un rôle auquel il n’a humblement jamais eu peur de rester associé : on s’est inquiété pour moi en me disant « tu n’as pas peur qu’on te catalogue tout le temps là-dedans ? », mais non ! Je n’ai pas fait de conservatoire ni d’école de théâtre, je débarque dans un milieu où des centaines de comédiens qui ont été formés rêveraient de se retrouver. Donc non, au contraire, ça a été une clé inouïe. Comme de la même manière, dans la foulée on est venu me chercher pour faire des voix pour la publicité.


Et à partir du moment où Thierry a été repéré en voix, les annonceurs et les studios ne l’ont plus lâché : j’ai été dans les 5 voix les plus utilisées en francophonie, et 18 ans plus tard, j’ai encore cette place ! Avec cette expérience et l’impro, j’ai eu l’occasion d’explorer des tas d’accents et de personnages, et aujourd’hui je peux tout faire. C’est vraiment une très grande chance parce que c’est devenu une clé économique fondamentale, qui me permet d’oser développer d’autres projets dans des secteurs qui sont beaucoup moins rentables.

Si selon lui il y avait, dans le passé, davantage de créativité, de qualité et de moyens pour de chouettes campagnes pub, le comédien retire encore beaucoup de plaisir à cet exercice, et s’amuse toujours avec ses amis comédiens-voix dans la quinzaine de studios pour lesquels il travaille.


Quand on fait la voix-off sur le produit, on est souvent seul, mais ça va vite, c’est bien payé, et même avec l’expérience je suis parfois surpris face à un texte difficile de me jeter dedans et qu’au final ça fonctionne. Il y a quelque chose de jouissif d’être devenu « un expert ». Je donne d’ailleurs pour la 4è fois un stage de voix-pub à l’IHECS, et c’est très agréable de se sentir incollable sur un sujet. Mais c’est un métier pas facile, et ceux qui veulent y accéder sont nombreux. Ca nécessite une grande oreille musicale, et une grande disponibilité.


En 2006, sa rencontre avec la comédienne Odile Matthieu est déterminante. Ensemble ils écrivent et interprètent trois spectacles qui vont enthousiasmer les foules : « Sincères Complaisances » (2006), « Charges Comprises » (2008) et « Burn Out » (2015).


La première pièce écrite avec Odile est révélatrice : je pouvais écrire, alors que je pensais que c’était inaccessible. Ca a été une vraie révélation qui a mis aujourd’hui l’écriture sur le podium de mes envies. Mais elle a aussi ses difficultés : la solitude qui lui est liée, et son ingratitude quand on doit se discipliner alors qu’elle ne vient pas bien. Ses écrits, qu’ils soient pour le théâtre ou des projets plus personnels, vont toujours dans le portrait de société. Un portrait dans lequel il s’inclue le premier, avec valises et erreurs de parcours : il n’est pas question de dire que les autres se trompent, ou d’avoir la prétention de se croire plus malin.


Depuis 2012, Thierry s’est également remis à la réalisation avec 3 courts-métrages de fiction : « Merci d’éteindre en partant », « Les oubliées » et « Prrreüte » qui font le tour des festivals. Je me suis rendu compte qu’ils ont eu un impact fort malgré des moyens dérisoires, et j’ai réalisé qu’il y avait une expérience dormante qu’il fallait que je ressorte du placard.


Réalisateur, producteur, comédien, acteur, auteur … Thierry de Coster est un artiste qui aime et se nourrit de la polyvalence : il refuse de choisir entre les cordes de son arc. Ses journées sont toutes différentes, il évite la répétition, choisit le challenge et prône la diversité.


J’aime tout, je ne peux pas choisir, mais ça dépend aussi beaucoup des personnes avec qui on bosse. Ce sont vraiment les deux clés importantes pour moi : le choix des gens avec qui je travaille et le fait de n’être dépendant de personne. Cette chance là, je la sens. Ceux qui ne font que du théâtre, ils sont à la merci des directeurs de théâtres. Idem au cinéma. Je l’ai vu en tant que producteur, à un certain moment on est dépendant de quelques personnes qui font de vous ce qu’elles veulent. Et je n’aime pas cette dépendance, même si cette liberté peut être fragilisante à cause de l’absence de certitudes.

Et c’est justement là où la polyvalence lui permet de se rassurer : je pourrais très bien si je n’étais plus assez sollicité comme je le suis, décider de donner des cours, ou tout autres projets. S’il faut absolument que je fasse de l’argent, je peux en faire. Je ne dis pas que c’est facile, mais je peux me concentre là-dessus et y arriver. Même si ça n’a pas été trop souvent ma priorité (rires). Je prends des risques, je vis bien. Je suis comme les hommes préhistoriques, je suis un chasseur-cueilleur : tant qu’il y a du mammouth pour tout le monde, je ne m’inquiète pas.


Une polyvalence qui, selon Thierry, est indispensable pour les artistes ‘art vivant’ qui veulent vivre de leur métier aujourd’hui : ne pas attendre, être constamment dans la pro-activité, s’investir dans différents projets, travailler beaucoup et développer une réelle créativité. Passer d’un secteur à un autre lorsque l’ennui guette, être disponible et disposé à mettre certains projets en pause lorsqu’on vient nous chercher. Une diversité pour s’en sortir financièrement et ne pas tourner en rond artistiquement.


Il y a beaucoup de gens très bien dans le milieu. Un homme qui a pu traverser ça toujours avec la même candeur, c’est Benoît Verhaert. Je l’admire énormément parce qu’il touche à tout dans le théâtre, et il est parvenu à se faire respecter partout. Il écrit, met en scène, fait de l’intergénérationnel, travaille avec des comédiens réputés et amateurs. Et il a toujours la pêche, c’est remarquable ! Parce que par ailleurs il y en a qui abandonnent, alors que ce sont de très grands comédiens … Des artistes comme Olivier Massart et Philippe Résimont, par exemple, ont eu parmi les plus beaux rôles au théâtre, mais se sont rendu compte qu’ils touchaient déjà le plafond quant à ce que la Belgique leur proposait. En terme de reconnaissance à la fois financière et d’image, tant qu’on ne passe pas un certain moment par Paris … Eux sont les révélateurs de la difficulté de vivre comme artiste ‘art vivant’ en Belgique.


Au milieu de tous ces métiers et de sa vie bien remplie, Thierry a également une épouse complémentaire et trois beaux enfants de 20, 22 et 24 ans. Je me suis régalé à être beaucoup plus disponible quand j’ai arrêté la production et que je suis devenu comédien : j’étais plus libre pour les enfants et j’ai donc été très présent pendant leur adolescence. J’ai beaucoup aimé ça. Je me rendais compte aussi que ça faisait partie de l’essentiel : à quoi bon faire des enfants si tu ne passes pas du temps avec eux ? On a beaucoup partagé ! Les filles, je leur ai lu 5 « Harry Potter » en entier, en faisant les voix de tous les personnages – pour m’exercer ! – elles ont adoré ça, par tranche de 40 pages par soir !


Une vie sociale aussi bien remplie, parce qu’avant tout, c’est le principal : vivre ! Beaucoup de fêtes, d’amis, de mouvement, de plaisir de vivre. Particulièrement depuis mes 40 ans, je vis extrêmement bien. En n’étant pas pour autant protégé financièrement, parce que je dépense ce que j’ai, mais j’aime cette idée d’avoir vécu déjà pleinement. Ca, on ne me l’enlèvera pas. Je suis très optimiste pour la suite. Les enfants sont grands, les deux aînés sont partis, je suis plutôt dans un mood où j’ai besoin à nouveau de liberté, de me retrouver, de pouvoir voyager, de retrouver une aisance financière qui permette de le faire. Avoir plus de temps pour tout ça.


Aujourd’hui, au milieu de toute son actu et ses projets, il y a une œuvre en gestation qui lui tient particulièrement à cœur. Un projet très personnel sur la liberté. Un témoignage sincèrement profond où je mets mes tripes sur la table, sans détours, avec tout le plaisir de mon âge et de ce que j’ai pu observer sur ma propre évolution depuis que je suis enfant. Sur ma manière de me réapproprier les réalités, les liens humains, ce qui a encrassé ma tête au niveau de la société et de la culture, et au contraire ce que j’ai aimé. Partager ça sans donner de leçons ni de réponses.


Une œuvre cinématographique, un documentaire de création, qui usera d’une très grande palette dans la mise en scène, et dont la réalisation débutera fin 2017 en fonction de l’avancée du financement, parce que Thierry préfère avoir les moyens nécessaires pour le faire bien.


C’est le projet d’une vie, oser parler de mon point de vue à moi. Je trouve que c’est une période formidable de la vie, à 54 ans, sur base de tout ce que j’ai pu brasser, de partager, de transmettre. Pas du tout dans l’idée de donner des leçons ou des vérités, mais simplement mon point de vue sur les réalités de ce que j’ai découvert par la religion, mes parents, la société, par la création à laquelle j’ai eu accès depuis 30 ans comme réalisateur, voyageur, documentariste, philosophe, écrivain. Je trouve que c’est un chouette aboutissement. Et donc ça marine bien !


Thierry de Coster, un artiste libre et optimiste, un beau vivant qui cultive la folie du quotidien, un homme heureux. Oui. J’ai cette chance. Et non seulement j’ai cette chance, mais j’en connais les raisons, et donc j’y veille. Ca ne m’empêche pas d’avoir des moments de mélancolie, de up and down comme tout le monde, mais ils sont intégrés et identifiés. Je suis heureux. Je fais un boulot que j’aime, et je continue à évoluer, à changer, à me questionner. Je pense que pour être heureux, il faut se sentir bien avec soi. Et comme je me sens bien avec moi-même, je me sens bien avec les gens. Et c’est tout le bien qu’on lui souhaite !


Emilie Colle

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